Enfoncée dans son siège, Cassie Matthew's attendait le verdict de son médecin, le docteur Lee, avec une impatience mêlée de crainte. Elle ne se leurrait plus sur sa vie, ni sur l'évolution de sa maladie. Dix ans qu'elle vivait au jour le jour, en espérant qu'un miracle se produirait. Toutes ses années l'avaient conforté à l'inévitable. Aujourd'hui à la veille de son vingt-quatrième anniversaire, elle était mourante. Les regrets, le désespoir et les larmes n'y changeraient rien. Elle avait appris à vivre avec cette épée de Damoclès sur la tête.

Elle se rappellerait toujours, ce jour où les médecins lui avaient diagnostiqué une malade incurable, la Mucoviscidose, à l'aube de ses quatorze ans. Ils avaient été patient, lui avaient expliqué que cette maladie était dû à un gène défectueux transmit par ses parents. Malheureusement pour elle, elle avait perdu ses parents durant sa petite enfance. Perdu était un faible mot pour décrire les circonstances de leurs morts.

Ils avaient tous deux été assassinés dans leur maison et elle n'en gardait aucun souvenirs, amnésie irréversible probablement du au choc. Dans son malheur, elle avait été adopté par le policier Jack Shaw dont elle n'avait pas voulu lâché le cou, lors de l'arrivée des services sociaux. Son père avait bataillé ferme et malgré le fait qu'il n'était pas marié, il avait réussi l'impensable. Adopter une gamine de quatre ans, effrayée par le moindre bruit et par les ténèbres.

Comme elle l'aimait ce père, qui avait abandonné ses rêves pour la sauver et pour la protéger du monde extérieur. Les mains tremblantes, elle leva les yeux vers son médecin. Dans son regard sombre, elle lisait une compassion qui l'emplissait de douleur. Elle sentit son cœur se tordre dans sa poitrine, puis son souffle s'altérer, signe d'une quinte toux imminente.

Des larmes d'amertume lui montèrent aux paupières, tandis que sa gorge se nouait. L'injustice de sa situation lui faisait tellement mal. Elle n'avait jamais rien fait qui puisse lui attirer pareil châtiment. Elle avait passé presque toute sa vie dans des hôpitaux, alors que les autres enfants de son âge jouaient à l'air libre, insouciants et heureux.

Elle ferma les yeux une seconde, priant pour que tout ceci soit finalement un cauchemar et qu'elle se réveillerait bientôt, en parfaite santé.

  • Cassie.

    Elle ouvrit les yeux, rencontra le regard du médecin et acquiesça silencieusement.

  • Il me reste combien de temps ? Murmura-t-elle du bout des lèvres.

    Il pinça les lèvres, essaya d'éviter son regard puis se tordit les mains. Elle le connaissait depuis dix ans et jamais encore, elle ne l'avait vu faire montre d'autant d'émotions. Elle serra les dents, pour endiguer le flux de larmes menaçant de déborder.

  • Dite-moi la vérité...Je suis assez forte pour l'accepter....

  • Je suis désolé Cassie. J'espérais trouver un donneur compatible.

  • Docteur, je sais qu'il est difficile...voir impossible de réaliser ce miracle et...Je suis trop vieille maintenant...Quand je pense à tous ces enfants en attente d'une greffe, aux chagrins de leurs parents...Non, je ne peux pas et ne pourrais jamais accepter un traitement de faveur. Je n'ai personne...plus de famille à qui manquer et je...Il serait égoïste de ma part d'envisager ce don. Julian....Ce petit a cinq ans et une famille qui l'aime...J'aimerai que vous mettiez tout en œuvre pour le sauver. Ce sera mon cadeau...

  • Cassie, tu es inscrite sur liste d'attente depuis des années. Ton cas est prioritaire.

    La jeune femme chassa une larme du revers de la main et riva son regard brillant vers son médecin.

  • Je suis mourante Alex et je n'ai plus la force de lutter... Je suis fatiguée de me battre...

    Lee frémit en avisant le courage dont faisait preuve la jeune femme. Cette décision était un véritable supplice. Pourtant, elle l'acceptait et pensait aux autres, pensait toujours avec son cœur. Cassie était l'une de ses patientes favorites. Jamais, elle ne pleurait, jamais elle ne faisait de caprice, jamais elle ne dédaignait les autres, elle était la douceur et la gentillesse incarnée. Quel malheur qu'une jeune femme de cette valeur doivent mourir avant même d'avoir vécu. Il le déplorait.

  • Cassie ma petite, s'il existait la moindre chance...

  • Je sais Alex, je sais. Puis-je rentrer chez moi à présent ?

  • Je préfèrerai te garder en observation.

  • Alex soyez honnête avec moi. Combien de temps me reste-t-il ? J'ai besoin de savoir.

  • Trois mois peut-être quatre avec un peu de chance et en suivant le traitement...

    Cassie se leva. Ses jambes peinaient à la porter sous le choc de cette nouvelle. Néanmoins, elle s'efforça de prendre sur elle et offrit un sourire serein au médecin.

  • Vous m'avez gardé en vie si longtemps...Vous savez, je n'ai jamais espéré vivre autant de temps. A partir d'aujourd'hui, je vais profiter de chaque seconde et je pourrai partir....Le cœur moins lourd.

  • Continue à prendre ton traitement et si un donneur compatible se présente, reviens immédiatement.

  • C'est inutile, mais merci d'avoir été si gentil avec moi Alex.

    Il se leva, s'empara de la main fine de la jeune femme et la pressa avec affection.

  • Nous nous revoyons pour un bilan dans une semaine.

  • Très bien. Au revoir Alex.

    Elle sortit en refermant doucement la porte. En passant devant le bureau de la secrétaire, elle détourna les yeux. Elle refusait de lire la pitié dans son regard, sinon elle allait craquer et sa faible contenance volerait en éclat. Elle devait être forte et tenir le coup encore un peu. Il lui restait beaucoup de chose à accomplir avant de pouvoir rentrer chez elle.

    Elle traversa le couloir conduisant vers la sortie sans un regard en arrière. Soudain, elle sentit une petite main tirer le bas de son pantalon. Elle baissa la tête et rencontra les yeux verts et pétillants de malice de Julian Carter. Son petit visage émacié, son teint pâle et son corps frêle lui firent un coup au cœur. Elle s'agenouilla devant lui et caressa tendrement ses boucles blondes. Il se mit à rire gaiement. Derrière lui se tenait ses parents. Ils lui sourirent puis hochèrent la tête.

  • Maman dit que tu quittes l'hôpital...Je te reverrai ?

    Une horrible envie de pleurer la percuta. Sa gorge se serra douloureusement et elle cligna des yeux. Elle devait montrer un visage souriant et confiant à Julian. Il était trop jeune pour comprendre.

  • Je ne sais pas Julian. Tu veux bien me promettre quelque chose ?

    L'enfant secoua la tête, de grosses larmes roulaient sur ses joues.

  • Je ne veux pas que tu partes au ciel Sissi...Je t'aime tu sais...

  • Oh Julian...Moi aussi je t'aime beaucoup....

  • Bouleversée, elle le serra dans ses bras et caressa ses cheveux d'une main tremblante et de l'autre lui frotta doucement le dos.

  • Ecoute-moi Julian. Tu vas guérir, tu m'entends. Tu grandiras en étant en bonne santé, tu te feras des amis. Tu poursuivras des études et un jour, tu te marieras et tu auras des enfants à ton tour. Promets-moi de vivre pleinement ta vie, de ne jamais rien regretter... Je serai toujours là, ici, fit-elle en posant sa main sur la poitrine de l'enfant.

  • Je ne veux pas que tu me quittes...

  • Je suis désolée... ce n'était pas mon rêve.

    Il leva une paire d'yeux brillant de larme et Cassie manqua d'éclater en long sanglot déchirant.

  • C'était quoi ton rêve ? Demanda-t-il d'une toute petite voix.

  • Vivre Julian, tout simplement vivre.

    Il écrasa ses larmes avec ses petits poings serrés et la fixa droit dans les yeux.

  • Je vivrai pour toi Sissi, c'est promis.

  • Julian mon chéri, il est temps d'aller te reposer.

    Le petit garçon l'embrassa sur la joue, se serra contre elle un instant puis rejoignit ses parents en trainant des pieds. Cassie les regarda s'éloigner, cette image parfaite d'une famille unie, celle qu'elle avait toujours rêvé d'avoir. Elle hoqueta, refoulant ses sanglots. Elle ferma son manteau noir, noua son écharpe autour de son cou, mit son bonnet en laine rouge et sortit d'un pas chancelant.

    Sur le trottoir, elle rechercha d'un taxi. Elle devait absolument voir son père, pour lui dire toute ces choses qui lui tenait à cœur.

    Je t'aime papa, tu vas me manquer et de là-haut, je veillerai sur toi.

    Mais elle ne pouvait lui dire ces mots, elle ne pouvait lui dire la vérité. Il serait si malheureux et elle ne voulait surtout pas le faire souffrir. Il l'avait tant aimé, l'avait toujours protégé et prodigué sa tendresse. Il devait garder de bons souvenirs d'elle, d'eux, de cette famille qu'ils avaient construit à force de patience et d'amour. Un élan de colère l'envahit, chassant la peine et le chagrin. Pourquoi devait-elle mourir si jeune ? Pourquoi elle, alors qu'il y' avait tant de gens malfaisant qui vivaient sans se soucier du mal qu'ils engendraient autour d'eux ?

    Elle avait envie de hurler, de laisser son chagrin exploser comme un raz de marée, quitte à tout balayer. Aujourd'hui, elle ne croyait plus en rien, n'avait plus la foi. Si dieu existait, comment pouvait-il lui prendre sa vie ? Comment pouvait-il se montrer si égoïste, si injuste ? On lui avait tout pris, sa famille, ses rêves et sa vie. Elle avait toujours été en sursis.

    Ce constat faisait si mal. Mourir avant d'avoir vécu. Mourir sans jamais avoir connu l'amour. Mourir sans avoir le bonheur de donner la vie à son tour. Mourir dans la solitude pour ne pas devoir blesser son père adoptif. Sa vie, ses rêves, tous lui étaient refusés, sans la moindre petite chance. C'était injuste et elle détestait cette fatalité qui s'abattait sur elle. Seulement, s'apitoyer son sort ne servait à rien. La maladie ne disparaitrait pas, la douleur et le chagrin non plus.

    Au yeux du monde, aux yeux de tous, elle devait être forte et faire face. Elle chassa ses sombres pensées et le cœur serré héla un taxi. Elle irait voir Jack maintenant pour ne plus remettre à demain ce qui lui tenait à cœur. Il serait furieux de la voir au commissariat. Il n'aimait pas la savoir seule partant à l'aventure dans les rues sans protection.

    Inlassablement, il lui répétait que c'était dangereux, que le monde était fou. Sur ce point, elle ne pouvait lui donner tort, vu le métier qu'il faisait depuis plus de vingt ans. Un sourire, un baiser et cela chasserait sa mauvaise humeur, elle en était persuadée. Elle grimpa dans le taxi, lorsqu'il s'arrêta à sa hauteur. Dans quelques minutes, elle sentirait ses bras réconfortant se serrer autour d'elle et à cette seconde là, c'était tout ce qui comptait à ses yeux. Elle donna l'adresse du commissariat au chauffeur, se cala contre le siège et regarda le paysage urbain défiler devant son regard perdu dans le vague.

 
 



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